Le 21e siècle est-il inassurable ?
Par Stephen Leguillon, CEO de Seyna
Le temps nous aura appris que pour pouvoir mutualiser des risques de manière viable, plusieurs éléments sont nécessaires. Ce risque doit être connu, prévisible, dommageable, involontaire mais également aléatoire. Mais alors comment faire lorsque notre monde bascule ?
Le 21e siècle est-il inassurable ?
Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas tant d’identifier les risques. Nous les connaissons et c’est d’ailleurs ce qui nous permet de les anticiper. Pour autant, le secteur de l’assurance doit faire face à la nouvelle grande inconnue : l’intensité.
En effet, 100 milliards de dollars de sinistres liés aux catastrophes naturelles nous paraissaient exceptionnels il y a encore quelques années. Le seuil a pourtant été franchi pour la quatrième année consécutive 1. Les records d’incendies désastreux se sont enchaînés en Australie, en Californie ou même chez nos voisins grecques, tandis que la France lutte contre la grêle, les crues et autres intempéries. Les catastrophes naturelles se sont forgées une place structurelle dans notre économie, pour figurer en deuxième place des risques les plus redoutés par les risks managers.
En pole position trônent évidemment les risques cyber2. En 2023, il a dépassé le milliard de dollars reversé à des cybercriminels3. Si ce chiffre semble vertigineux, il faut imaginer qu’il devrait se multiplier par plus de 200 pour atteindre les 265 milliards d’ici cinq ans4. Récemment, notre pays s’est préparé à absorber pas moins de 4 milliards d’attaques cyber sur la seule durée des Jeux Olympiques de Paris cet été5.
L’ensemble de ces risques est désormais systématiquement aggravé par l'interdépendance croissante de nos méthodes de production. Les récentes crises l’ont montré : notre économie ultra-spécialisée imbrique un nombre toujours plus important de chaînes de valeur. Volkswagen a par exemple dû interrompre sa chaîne de production, affectant tout son marché européen, à la suite d'une inondation en Slovénie 6. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant de relever que 60% des entreprises considèrent comme prioritaire le développement de sources d'approvisionnement alternatives pour éviter les interruptions de la chaîne de production, selon un rapport d’Allianz.
Une nouvelle approche aux risques
Plusieurs axes peuvent être imaginés pour assurer la pérennité du secteur de l’assurance. Le premier, et le plus évident, est celui de la prévention des risques. La poursuite des efforts en matière de lutte climatique, la promotion des partenariats publics-privés à l’instar de Flood Re en Angleterre pour améliorer la résilience des logements face aux catastrophes naturelles, l’équipement d’infrastructures par capteurs intelligents, devraient être amplifiés. L’accélération récente de nos avancées en matière de traitement et analyse des données est une opportunité formidable de transformer notre approche au risque.
Le deuxième domaine est celui de la stratégie de tarification. Le secteur dans son ensemble a perdu le sens de la valeur de ses services. Face à la baisse du pouvoir d'achat et à la concurrence féroce, le secteur de l'assurance s'est précipité vers le bas en termes de tarification. Cette dynamique du secteur n'est pas viable. Il est désormais de notre responsabilité collective d'améliorer la qualité des services que nous offrons, afin de justifier des niveaux de primes conformes à nos structures de coûts.
Le dernier axe est celui de la gestion du risque en écosystème. Assurer notre époque requiert que chaque typologie d’acteurs se focalise sur le maillon de la chaîne assurantielle lui correspondant. Concrètement, un réassureur gérant des fonds à même d’assurer des Etats contre des tsunamis ne peut pas être aussi pertinent sur la gestion d’un contrat affinitaire portant sur un billet de concert, comme le serait un courtier. Cela suppose pour les réassureurs de se concentrer sur la mise à disposition de leurs bilans et de leurs expertises macro-économiques dans un but de mutualisation pérenne et de solidité financière, pour les assureurs de porter et piloter l’équilibre technique des programmes, et pour les courtiers d’apporter leur expertise et créativité dans la création de nouvelles offres en phase avec les enjeux des clients finaux.
Permettre une collaboration plus fluide entre ces acteurs passera par une intégration plus forte des opérations, mais également de la donnée. Si celle-ci constitue l’essence même de l’assurance, la route reste encore longue. Il faut investir plus fortement. L’assurance représente 6% du PIB mondial, avec ses 6 000 milliards de dollars de primes collectées. Pour autant, elle représente à peine 2% des data scientists.
La réelle transformation du secteur s’opérera lorsque nous franchirons le pas d’intégrer nos opérations durablement. Seulement ainsi pourrons-nous capitaliser sur les forces de chacun et mieux protéger les milliards de clients du secteur.
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1 Baromètre des risques d'Allianz 2023 : t.ly/3soTg (p.8)
2 Baromètre des risques d'Allianz 2023 : t.ly/3soTg (p.4)
3 Wired : t.ly/EjmED
4 Baromètre des risques d'Allianz 2023 : t.ly/3soTg (p.16)
5 Forbes : t.ly/Xbb52
6 Reuters (août 2023) : t.ly/7xJTt