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"Bold." | Insurance Experience avec Joao Cardoso de Jesus, Co-fondateur et CEO de Lovys

Certains individus parviennent à façonner le monde dans lequel nous vivons. Comment font-ils ? Quelles sont leurs méthodes ? Leurs stratégies ? "Bold." explore l'ADN et les stratégies des individus qui transforment leur secteur. Aujourd’hui, rencontre avec Joao Cardoso de Jesus, co-fondateur et CEO de Lovys, la première assurance 100% digitale, tout-en-un et flexible en France.

bold. joao from lovys

Depuis 2017, Lovys repense toute l'expérience utilisateur pour que l'assurance devienne enfin simple, transparente et personnelle. Une seule interface, un seul abonnement mensuel pour tous les besoins en assurance.

Aujourd’hui, nous revenons sur la genèse de cette aventure et sur les méthodes qui ont permis l’émergence d’une love-brand de l’assurance.

Joao, avant de parler de tes aventures entrepreneuriales et du succès de Lovys, parles-nous de toi. Comment te définirais-tu ?

Je me définis comme un “passionné par la vie”, tout simplement.

À notre époque, nous avons une chance hallucinante. Quand je pense à ma famille dans les années 60, avec plusieurs personnes qui sont venus en France de façon illégale depuis le Portugal et qui ont travaillé dans le BTP. C'était une période tellement compliquée.

Maintenant on a une vie magique, on peut aller n'importe où, travailler n'importe où. Les limites sont celles qu'on se définit soi-même. C'est incroyable - j’ai vécu au Portugal, j'ai terminé mes études en Belgique, j'ai commencé à travailler à Londres, j'ai lancé ma première société au Brésil et ma deuxième, Lovys, en France.

Un état d’esprit ultra positif donc ! Tu as lancé plusieurs autres projets avant Lovys. Cela fait maintenant plus de 10 ans que tu es dans l’assurance. Pourquoi t’es-tu lancé dans l’entrepreneuriat ?  

Cela fait peur de se dire que cela fait maintenant 14 ans ! J'ai démarré au Brésil en 2011, donc 6 années au Brésil, et depuis 2017 en Europe. Le temps passe vite !

En deux mots, j'ai démarré ma vie professionnelle au Royaume-Uni en 2005. Travailler dans une ville cosmopolite comme Londres en début de carrière cela donne des ailes. J'adorais “l'investment banking” et le “private equity” mais je me disais qu'il y avait quelque chose qui me manquait. Ce que j’avais toujours eu envie de faire : créer ma propre société et avoir une expérience entrepreneuriale.

Dans le “private equity”, j’aimais beaucoup accompagner les entrepreneurs. Dans ces moments-là, les entreprises que tu accompagnes se sont déjà bien développées, mais tu sais qu’elles ont commencé de zéro. Par conséquent, tu rencontres à chaque fois des personnalités incroyables. Cela représente une étape de prise de conscience. Je me suis dit "un jour, je veux le faire". C’était un moment dans la vie où la crainte de rester dans mon petit confort était plus forte que d’oser me lancer. Ce n’est pas grave si j’échoue, je pourrai retenter ma chance. On peut bien évidemment perdre de l’argent, mais il y aura toujours des opportunités dans la vie pour en retrouver. En revanche, dans la vie, les moments où on peut se lancer à son compte sont rares.

La vie d’entrepreneur, c'est vraiment une expérience, c'est une façon de vivre la vie. Quand je regarde ma vie professionnelle, je ne vois pas mon quotidien comme un travail mais comme mon mode de vie.

Diriger une entreprise me rend heureux, je m'éclate au quotidien. Même s'il y a des moments qui sont très difficiles, j'aime ce que je fais.

Ton parcours ressemble à un voyage initiatique ! Est-ce qu'il y avait une stratégie derrière tout cela ? Tu aurais pu tout simplement rester dans le private equity à Londres et faire une belle carrière.

Ce n’était que le début du voyage. Et j'aime mélanger le côté pro et perso. Je recherchais donc une nouvelle expérience après le Royaume-Uni. Il fallait se lancer, mais dans un autre pays pour avoir aussi une expérience personnelle plus riche.

Mes réflexions du moment étaient les suivantes : Ne serait-ce pas incroyable de lancer un projet dans un nouveau pays ? Et pourquoi pas le faire dans les BRICS ? Dans un pays émergent où c’est plus singulier pour un européen d’entreprendre.

Plusieurs pays sont entrés dans mon processus de prise de décision. Je suis allé plusieurs fois en Chine où la vitesse de croissance était phénoménale, mais ce n'était pas nécessairement le pays le plus simple culturellement, notamment au niveau de la langue.

Et pourquoi pas le Brésil ? J'ai commencé à m'intéresser au Brésil et à réfléchir aux business models qui marchaient bien en Europe à l’époque sur Internet et que je pourrais répliquer là-bas.

J'avais deux idées en tête : les sites de comparateurs d’assurance et la livraison de nourriture. Les deux sujets n’ont rien à voir, mais l’idée était la même - lancer une entreprise dans laquelle j’aurais pu être le client final.

Me voilà dans l’assurance.

Intéressant. Mais tu n’avais aucune idée de comment gérer un business dans l’assurance ?

Je n’avais aucune compétence en assurance à ce moment-là.

Les comparateurs c'était un sujet qu’on pourrait considérer comme “mainstream” à l’époque, tout le monde connaissait plus ou moins. J’étais convaincu que c’était le genre de business qui pouvait bien marcher au Brésil. De plus, par rapport à la livraison de nourriture, je n’avais pas cette complexité logistique à gérer, c’était une aubaine pour moi.

Cette expérience a également été une clé d’apprentissage pour le lancement de Lovys. J’ai appris qu’il fallait beaucoup de temps pour construire des entreprises, et être résilient. La trajectoire au Brésil a pris beaucoup plus de temps que prévu - ça m'a pris deux ans pour vraiment me lancer. C’était difficile, même avec de l'expérience. On était parmi les premiers sites comparateurs d'assurances, alors aller convaincre les assureurs, les intégrer dans la plateforme, mettre les règles en place et se lancer... Je pensais qu'en 12 mois je serais capable de le faire, mais cela nous a pris 24 mois. Toute la complexité politique locale n’a pas aidé non plus.

Malgré les difficultés au lancement, tu t’es fait une belle place au soleil… Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

C’est vrai qu’une fois lancé, le business a connu une croissance formidable. À la fin de la 4ème année, on était environ 200 personnes, avec une belle équipe de vente et un joli succès.

Pour te remettre dans le contexte, j'avais surtout des investisseurs américains et étrangers. Le Brésil a connu un changement radical du jour au lendemain avec une crise politique et économique en 2014-2015. C’était la période la plus difficile de ma vie. Je me souviens encore de cet email envoyé par mes investisseurs m’expliquant qu'ils n'allaient pas remettre au pot à cause du changement de taux de change !

Je me suis retrouvé avec un “cash runway” de deux-trois mois et avec une équipe de 150 personnes. Et tout cela lié à un contexte macro que je ne contrôlais pas. Je te laisse imaginer…

Je ressors de cette expérience qu’en tant qu'entrepreneur qu’il y a énormément de variables qu'on ne contrôle pas.

OK je résume : nous sommes en 2017, tu es au Brésil, dans période politique trouble… et tu t’apprêtes à licencier plus de la moitié de tes équipes. 

C’est clairement le moment le plus difficile pour moi en tant qu'entrepreneur.

Je me souviens encore - c'était le jour de mon anniversaire - les investisseurs m'appellent et me disent qu'on doit fermer la société au Brésil. C'était le 6 mars. À l'époque, on était exactement 150 personnes. En trois semaines, nous sommes passés de 150 à 30 personnes.

C'était une période de stress intense : il fallait à la fois réduire drastiquement les effectifs tout en maintenant l'entreprise opérationnelle : préparer qui reste, qui part, réaligner toutes les tâches dans l’organisation. Il fallait être extrêmement résilient car l’entreprise devait continuer à tourner…

Après cela, il me fallait regarder en avant et trouver un nouveau projet.

Comment faire pour se relancer dans ces cas là ?

J’avais toujours envie d’entreprendre, c’est mon fil conducteur. Mais il fallait que j’opte pour des zones géographiques plus stables politiquement, où la croissance potentielle est peut-être moins forte mais où l’on trouve plus de sécurité.

Et j’avais un concept en tête.

Je m’explique : dans un site comparateur, c’est simple, tu vois tout ce qui se passe dans l’industrie. C'est assez incroyable car tu sais quels assureurs sont bien positionnés, les offres qui ont plus de difficultés à se positionner, les particularités de celles qui performent, etc. C’est un terrain de jeu fabuleux pour un entrepreneur. En me basant sur cela, je me suis dit que si je basculais de l'autre côté, vers le courtage, on pourrait améliorer l'expérience client, faire quelque chose de vraiment unique.

C’est là que j’arrive avec cette idée : "pourquoi pas transformer et repenser toute l'expérience de l’assuré ? Mais cette fois-ci en changeant réellement la manière d’aborder sa protection ?".

Et j’avais pour cela deux options : l’Europe ou les Etats-Unis.

Parlons un peu de vitesse. Je me souviens des premières années de Lovys, vous êtes allés très vite avec ton équipe. Vous étiez les premiers à faire du multi-pays, du multi-équipement aussi. Pour les entrepreneurs qui nous lisent, est-ce que tu considères que c'était rapide, et quelle est ta stratégie pour le faire ?

Exactement. Je retiens une chose fondamentale de mes expériences entrepreneuriales : la vitesse.

Autour de moi, tout le monde se pose la question de la recette magique du succès. Finalement, la seule chose qui compte c’est ta vitesse d'exécution. On ne va pas redéfinir les règles du jeu. Si l’on veut jouer dans un marché de startup, si on veut lever des fonds, il y a des règles du jeu à respecter. Et tout le monde ne regarde qu'une chose : la vitesse de progression de ton revenu, de ton produit, de ton expansion etc…

J'ai 12 fonds au capital, 12 investisseurs institutionnels. Quand on faisait des démos de Lovys, souvent les investisseurs disaient qu'ils adoraient la super expérience qu’on propose à nos assurés. En réalité, ce qui les intéressait vraiment, c'est de voir la croissance. Le jeu fonctionne ainsi, et la seule chose qui est vraiment indispensable pour réussir, c'est la manière dont tu gères le business pour aller vite.

C’est un peu moins vrai depuis 3 ans, où la rentabilité et la performance sont de nouvelles règles. Mais au début de Lovys, on avait bien en tête le terrain de jeu, et on a poussé fort.

C’est donc ta deuxième expérience entrepreneuriale dans deux continents différents. En tant que CEO, tu as connu des retournements de situation. Comment fais-tu pour les surmonter ? Comment gères-tu toute cette pression au quotidien ?

Mon expérience au Brésil m'a beaucoup aidé.

Souvent, en tant qu'entrepreneur, on sent qu'on peut déplacer des montagnes. Il faut cependant comprendre qu'il y a des choses immuables et plus grandes que nous. On ne va pas changer la façon dont les gens pensent, le fonctionnement de l'économie ou encore la courbe des taux d'intérêt.

On se concentre donc sur les éléments sur lesquels on peut avoir de l’impact. En tant qu'entrepreneur, il y a beaucoup de petites urgences quotidiennes, ces petites choses qui ne vont pas, mais il faut continuer à avancer sur ton plan à long terme. C'est souvent extrêmement difficile car le quotidien peut rapidement nous submerger.

Il y a plusieurs méthodes pour gérer cette pression. Une d'entre elles, c'est d'avoir certains rituels. Mettre en place des rituels simples structure profondément ta façon de gérer une entreprise. Par exemple, j'ai des rituels quand je me lève et quand je me couche. C’est primordial d'avoir une séquence de rituels pour gérer le stress et se maintenir dans un “mindset” de performance.

J'ai aussi créé ce que j'appelle en anglais des "sessions". Je bloque du temps défini uniquement pour penser, réfléchir à l'équipe, revoir notre stratégie. Je définis les objectifs, la fréquence, et idéalement la structure de la session. J'ai des sessions aussi bien pour ma vie personnelle que professionnelle. C'est capital car sans cela tout devient urgent.

Parlons maintenant du démarrage de Lovys. Les acteurs traditionnels sont bien en place. Lancer une startup européenne dans l’assurance ce n’est pas rien, depuis 2017 quelle est votre raison d’exister ?

Le démarrage de Lovys en France est un moment dont je me souviens avec beaucoup de bonheur.

Pour donner une idée des chiffres, pendant les premiers 24 mois de Lovys en France, on a dépensé au total 400 000 €. Quand on a clôturé notre “seed round”, on s'est dit "la vie va enfin changer, on va avoir les moyens d’avoir de l’impact". Nous avons loué quelques bureaux chez WeWork et nous avons embauché du personnel. C’était une fierté de voir à quel point l'équipe a été si résiliente pendant les premières années.

Et même après cela, nous sommes toujours restés frugaux.

Un exemple : nous n’avons jamais vraiment loué de bureaux, nous sommes toujours restés dans des espaces de coworking, toujours dans cette dynamique de démarrage de startup. J'ai fait cette erreur au Brésil - j'avais un gros bureau de quatre étages avec 200 personnes. On y dépense tellement d'énergie, de temps à faire que cela soit beau et agréable. Finalement on se rend compte que du jour au lendemain tout peut changer et que cet investissement n’est pas le plus important.

Ce qui nous fait avancer chez Lovys, c'est vraiment cette vision de comment on est en train de réinventer l'expérience client, le produit en soi. Le reste - la levée de fonds, le recrutement - ce ne sont que des outils pour pouvoir réussir. La raison d'exister, c'est vraiment comment et pourquoi on est en train de réinventer, réimaginer l'expérience client. Si on n'est pas en train de réinventer, d'améliorer cette expérience client, c’est le moment de fermer les portes et faire autre chose.

Jusqu'à présent, la consommation d'assurance se résume à l'achat de produits standardisés et rigides. C'est comme si on achetait des CD au lieu d'avoir une playlist qui s'adapte à tes besoins. Notre vision, c’est comme passer du CD à Spotify, c'est de faire bouger le monde de la protection vers un monde où tu as un abonnement et tu es couvert selon ton profil. C'est fluide, dynamique, et tout s'adapte à ta vie personnelle (déménagement par exemple).

Sur le papier, la vision paraît géniale. Mais il y a des milliers de manières d’échouer. Et tu ne peux pas tout faire seul. Comment t’entoures-tu pour faire avancer le projet dans le bon sens ?

J’ai changé de manière d’aborder le sujet au fil des années. Mais quand on parle recrutement, il y a deux groupes de compétences que je vais évaluer : les compétences humaines et les compétences techniques. Les deux sont importantes.

Pour les caractéristiques humaines, je fais énormément attention à la négativité : Est-ce que la personne est négative ? Est-ce que c'est quelqu'un qui aura tendance à dire "non, mais ça ne va pas marcher" ?

Cette tendance naturelle à la négativité est ancrée et pratiquement impossible à transformer. Je cherche des gens qui sont ambitieux, qui ont cette envie de gagner et qui veulent se dépasser.

Pour les compétences techniques, il y a un critère clé, c'est ce que j'appelle le "proof of work", qui se matérialise à travers l’étude de cas. C’est à cela que je vais faire confiance. Je privilégie le savoir-faire concret plutôt que le prestige des marques employeurs sur un CV.

Dans mon parcours, j'ai également toujours eu la chance d'avoir une "tribe". C’est un groupe de mentors et d'autres entrepreneurs. Nous pourrions rester dans notre bulle avec nos convictions. Il est cependant beaucoup plus important de se maintenir au niveau avec un groupe de personnes qui vont venir nous challenger avec des points de vue complètement différents. L'enjeu n'est pas de savoir qui a raison, c'est de débattre pour pouvoir prendre les meilleures décisions.

Merci Joao, c’est la fin de l’entretien. As-tu un sujet qui te tient à cœur ? Et quel conseil donnerais-tu à ceux qui nous lisent et qui veulent entreprendre ?

Le plus important selon moi ce sont l’énergie et la résilience.

Le défi d'être entrepreneur, c'est la gestion des problèmes que l’on rencontre au quotidien. Nous avons parfois tendance à oublier que ces tracas font partie intégrante de notre travail.

Mon conseil, c’est d’abord de prendre conscience de ce postulat : que c’est difficile, que ce le sera toujours, et que c'est normal.

Je vais illustrer avec une dernière anecdote, je parlais de mon expérience au Brésil : au moment où je devais licencier mes équipes, quelqu'un frappe à ma porte pour me dire qu'il faut évacuer le bâtiment parce que l'électricité va être coupée. Dans ces moments-là, on a l'impression que le sort s'acharne contre nous. Mais on apprend une chose avec le temps : une solution est toujours là.

Pour conclure, j’incite tous les entrepreneurs à repousser leurs barrières. Il faut entretenir cet état d’esprit pour ne pas oublier que nous vivons dans un monde magique.

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