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"Doubler vos ventes d'assurance avec les neurosciences" avec Clarisse Pamiès

L'expertise de Clarisse est de libérer le potentiel des professionnels grâce aux neurosciences. Nous lui avons demandé comment les appliquer à la vente d'assurance ...

Seyna - Doubler vos ventes d'assurance grâce aux neurosciences

Clarisse, tu es diplômée de Sciences-Po, Columbia, en économie à l’ENS et de l’ENSAE en tant que statisticienne. Tu as travaillé dans la Bancassurance, au BCG, à la Direction Générale de la Modernisation de l’Etat, en tant que Directrice du Digital chez Johnson & Johnson et tu gères désormais Omind Neurotechnologies. Ai-je oublié quelque chose ? 

Non, pour le moment c’est ça. (Rires)

Pour simplifier, le fil rouge de toutes ces expériences aura été de comprendre pourquoi et comment les gens changent, se transforment avec leur environnement… ou pas ! Or j’ai toujours eu un goût pour la data, la recherche et l’apprentissage. J’essaie donc de les utiliser pour comprendre les mécanismes derrière nos comportements et ajuster nos réactions.

C’est ce que nous faisons chez Omind Neurotechnologies, un organisme de formation utilisant les neurosciences et les technologies, permettant aux professionnels de se dépasser et atteindre leur plein potentiel. Cela peut être sur le plan commercial, managérial, des relations etc. On travaille avec des entreprises allant d’Accenture au Crédit Agricole en passant par Hannover RE ou encore IKEA.

Passionnant ! Dois-je comprendre que vous rendez vos clients instantanément plus intelligents ?

Non et oui. 

Non, parce que prendre conscience de ses modes de fonctionnement en situation et se réadapter prend du temps. Et qu’il ne s’agit pas d’intelligence au sens où on l’entend habituellement, mais de capacités à réagir de manière adaptée face au stress, à prendre des risques, à créer de l’intelligence collective avec ses collègues ou avec ses équipes… 

Mais oui, parce que beaucoup ignorent la puissance phénoménale de cette petite machine. Notre cerveau : environ 86 milliards de neurones. Il est capable de traiter des quantités colossales d'informations.

Pour schématiser, c’est comme si on nous offrait tous une Tesla à la naissance. Mais nos vies nous amènent souvent à en faire l’usage d’une bicyclette. Nous n’exploitons pas toutes les fonctionnalités à notre disposition. Par exemple, certains ignorent qu’il existe des mécanismes de régulation du stress et des émotions, pilotés (notamment) par le système nerveux autonome. D’autres ne réalisent pas qu’ils disposent de capacités d'empathie pour ajuster leur trajectoire selon les signaux émotionnels renvoyés par leurs interlocuteurs, etc. Alors qu’en fait, il suffit de connaître et d'activer ces rouages. La littérature scientifique indique qu’on peut améliorer ses performances en comprenant mieux son fonctionnement cérébral.

Chez Omind, c’est cette prise de conscience en action qui permet de créer une accélération des apprentissages dans nos programmes de formation et de coaching, tant chez des athlètes de sport extrême (Redbull) que des managers d’équipe, ou encore gestionnaires de clientèle dans le monde professionnel.

Grâce à des expériences gamifiées et des boîtes à outils pratiques appliquées à leurs métiers, l’idée est de permettre aux managers, aux leaders ou aux commerciaux de maximiser leur potentiel et de s’ouvrir de nouvelles possibilités.

Très clair. Rentrons maintenant dans le vif du sujet : l’Humanité est-elle câblée pour acheter de l’assurance ?

Pour faire simple, plutôt oui. Un grand psychologue, Daniel Kahneman, a d’ailleurs gagné le prix Nobel en 2002 pour avoir démontré la puissance de “l’aversion au risque” dans nos décisions économiques. L’Humain est, selon ses calculs, 2.4 fois plus sensible à la perte qu’au gain.

C’est sans doute pour cela que l’humanité a commencé à développer ces mécanismes qui assuraient les marins partant s’aventurer en mer. Il y a quelque chose de très anthropologique lié à la mutualisation. Celle-ci peut prendre diverses formes capitalistiques (mutuelles, tontines, assurances, peer-to-peer, etc.) mais ce sont toutes des solutions que l’Humain a mises en place pour se prémunir des coups durs.

Comment ça se traduit anatomiquement ? Qu’est-ce que notre cerveau a en commun avec celui d’un marin génois du XIVème ?

Pour faire (très) simple, notre cerveau est câblé pour une priorité : survivre. Pour cela, il s’est doté de fonctions qui s’activent en cas de danger : fuir ou combattre. Ce sont des neuro-mécanismes que nous utilisons depuis des dizaines de milliers d'années, en tant qu’Homo Sapiens pour pérenniser notre espèce. 

A l’époque des premiers Sapiens, ces réflexes étaient adaptés. Ils attiraient notre attention sur des baies dans la forêt pour nous nourrir ou nous incitaient à fuir devant un prédateur. Physiologiquement, cela se traduit par des choses que l’on mesure très bien : accélération du rythme cardiaque, sudation des doigts (les “mains moites”), etc. 

Aujourd’hui, ce sont ces mêmes mécanismes à l’œuvre quand on reçoit une notification sur notre smartphone ou quand on allume BFM TV. Au vu du bombardement d’informations, d’émotions et de transformations dans notre monde actuel, pas étonnant donc que beaucoup se sentent submergés. 

Et comme notre cerveau est paramétré pour survivre et pour s’économiser, il a développé des raccourcis. Il privilégie certaines routes, qu’on appelle communément des biais cognitifs, et qui nous prédisposent à nous assurer. 

Mais rien n’est jamais simple avec le cerveau humain. Certains autres biais (il y en a 180 recensés !) peuvent aller contre cet automatisme de pensée, comme par exemple l’illusion de contrôle (l’idée que l’on maîtrise ce qui est pourtant aléatoire). Donc, quand on vend de l’assurance, il faut préparer le terrain.

Comment ?

Tout d’abord, en se prenant des pincettes avec la peur.

Quand on vend de l’assurance, on peut être tenté d’agiter le chiffon rouge. Mais un client qui a peur ou qui est dans l’incertitude peut inhiber sa prise de décision ou être conservateur (ce qui aboutit à ne pas souscrire par exemple). 

Le chercheur Britannique Roy F. Baumeister a démontré que nous prenons de meilleures décisions lorsque l’on se sent dans un environnement positif. Par le simple fait d’être de bonne humeur et en confiance, nous sommes plus réceptifs à des solutions et bénéfices long-termistes. Il faut donc accompagner le client pour l’aider à se projeter dans un état d’esprit de confiance qui l’aidera à valoriser le bénéfice. 

Cela ne veut pas dire qu’il faut se voiler la face et vendre une vie à l’eau de rose. Des sinistres arrivent et peuvent être dramatiques. Le point est d’éduquer sur ces dangers puis d’amener vers une solution réconfortante. 

Par ailleurs, sur certains sinistres, ceux les plus extrêmes (risque climatique par exemple), on doit éduquer par la visualisation. Car nos esprits ne nous permettent pas de nous projeter dans une catastrophe si celle-ci semble lointaine et ne nous a jamais frappés. C’est donc pour ça que certains assureurs nord-américains comme Allstate ont mené des campagnes de sensibilisation aux tornades extrêmement visuelles, suite à l’ouragan Katrina. 


Admettons que je sois spécialisé en loyers impayés, une garantie importante mais moins spectaculaire que les catastrophes naturelles. Quels leviers peuvent m’aider ?

On ne peut pas reprogrammer les 180 biais cognitifs de nos clients (et les nôtres !). Mais on a deux principales pistes d’action. 

D’abord, les “micro-nudges” et les “micro incitations”. Ce sont des manières de présenter les choses pour inciter chacun d’entre nous vers des choix bénéfiques à long terme. Ou de petites récompenses parsemées sur les parcours utilisateurs. Par exemple, ce sont les services auxquels on vous donne immédiatement accès en souscrivant à votre box Free, à votre carte de crédit, etc. 

Si vous distribuez de la Garantie Loyers Impayés, réfléchissez donc à ces récompenses immédiates que vous pourriez apporter à vos administrateurs de biens ou leurs clients finaux. Et découpez les options en plusieurs étapes, pour ne pas submerger la cognition de vos clients et les inciter à fermer la page. 

Et puis, le second levier d’action, ce sont les émotions. Si on reprend l’origine latine du mot d’ailleurs, “motio”, l’émotion est cette force qui nous met en mouvement, qui pousse à l’action. A activer, par exemple, grâce au levier de l’empathie.


Formidable. Je te propose donc de conclure avec ça et sur un jeu de rôle. Admettons que j’aie une soutenance d’appel d’offres qui arrive. Comment puis-je actionner l’empathie ?

L’empathie, au sens des neurosciences, n’a pas tout-à-fait la même signification que dans la vie courante. Ce n’est pas forcément “être gentil” (ça, c’est plutôt la sympathie), mais le fait de lire les émotions de l’autre et d’adapter son approche en fonction de ces informations. Ça se mesure très bien, c’est de la mécanique. 

Et cela se traduit physiquement par la quantité d'ocytocine, aussi connue sous le nom de “molécule de l’attachement”. Elle n’est présente que chez les mammifères. C’est elle qui permet aux rongeurs de s’attacher à leur progéniture et d’accepter un compagnon de terrier. C’est aussi elle qui pourrait vous faire gagner +17% de taux de confiance auprès de vos clients selon le neuro-économiste Paul Zak. 

Avant la réunion de soutenance, donc, quelques règles. D’abord, visualisez la scène et anticipez vos émotions. C’est le gros du travail que nous avons fait avec la double championne du monde de Kite Surf Free style, Bruna Kajiya. En préparation mentale, avec nos outils immersifs Omind, elle a travaillé sur ses peurs et sa gestion du stress. Car même quand on est au top (et parfois surtout !), on craint la chute. Arriver serein dans la salle vous mettra dans une bonne disposition pour créer un lien avec vos interlocuteurs. A l’inverse, le stress et le cortisol inhibent l'ocytocine.

Ensuite, pendant la réunion, tentez des mimétismes pour établir un rapport. Regardez vos clients directement dans les yeux. Prenez le temps d’observer les réactions, sans vouloir vous précipiter sur les réponses. Littéralement, cela facilite le fait d’être sur “la même longueur d’onde”, et en laboratoire, ca se mesure physiologiquement aussi.

Enfin, partagez des émotions positive. Félicitez, approuvez, etc. C’est en générant vous-même de l'ocytocine que vous la susciterez chez vos interlocuteurs.


Clarisse, merci pour ce partage !

Voici quelques papiers accessibles si vous souhaitez approfondir la question : 

  • Kahneman, D. (2011). "Penser, vite et lentement".
  • Thaler, R.H. et Sunstein, C.R. (2008). Nudge : Améliorer les décisions en matière de santé, de richesse et de bonheur.
  • Zak, P. et al (2004). "The Neurobiology of Trust".

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