Les concepts d'actuariat pour réussir vos négotiations assureurs
Courtiers, quelles applications concrètes de concepts actuariels pouvez-vous utiliser pour manoeuvrer vos négociations assureur ?

John Maynard Keynes disait : “À long terme, on est tous morts.”
Heureusement, en assurance, la réalité est plus réjouissante : “À long terme, on est tous d’accord.”
En effet, en assurance, tous les intérêts sont alignés sur le long-terme. Il ne s’agit pas là de bien pensance mais d’une réalité. Ce n’est que sur le long-terme que le trio éternel, courtier - assureur - réassureur, s’y retrouve. Le courtier dans la fidélisation de son client, l’assureur par la rentabilité de son programme et le réassureur par la stabilité de ses positions.
Mais nos quotidiens sont également régis par le court-terme : une obligation de résultats, une rentabilité vacillante, etc.
Les discussions se corsent, souvent.
Pour garder la tête froide dans ces moments chauds, nous avons fait appel à Nabil Seddiki. Actuaire et expert en tarification chez Seyna, il est responsable de la co-conception de produits d’assurance avec les courtiers sur différentes verticales assurantielles.
L’objectif de cet article est d’apporter 3 concepts actuariels et leurs applications concrètes pour générer de nouveaux angles de discussions avec vos partenaires assureurs.
Des clés de lecture permettant de parler le même langage, et construire des programmes stables et profitables pour tous, sur le long terme.
La loi de Poisson
Concept et application
Nommé après son auteur, le mathématicien français Siméon Denis Poisson, la loi de Poisson est une loi statistique qui permet de compter un nombre d’événements dans un intervalle de temps donné.
Par exemple, si l’envie vous prend d’estimer le nombre de voitures rouges qui passent dans la rue sous votre fenêtre, vous pouvez utiliser une loi de Poisson.
En assurance, c’est un outil très répandu. Cette loi est utilisée pour estimer la fréquence d’événements aléatoires et indépendants survenant à un rythme moyen constant. Cela permet d’intégrer l’incertitude dans la modélisation et d'anticiper les résultats possibles. On l’utilise beaucoup sur des risques comme la panne mécanique, l’assurance annulation en billetterie ou encore la casse d’appareils électroniques.
Cette loi n’admet qu’un paramètre : la fréquence, et tout repose dessus. Ainsi, dans nos tarification, ce paramètre est fondamental.
Quelques idées pour votre prochain RDV :
Gardez en tête ce concept de la loi de Poisson. Autrement dit, quels leviers pouvez-vous actionner pour limiter la fréquence des sinistres ? Quelques idées …
- Renforcez la prévention autour de votre appareil en combinant la vente d'une assurance avec la protection de votre smartphone par le distributeur
Ce schéma de prévention est classique mais on a vu des variantes intéressantes se développer au cours de ces dernières années. En effet, certains programmes se sont mis à proposer des indemnisations sans franchise ou accélérées à toute personne ayant adopté des mesures préventives préconisées par l’assureur. Ces dispositifs sont parfois utilisés dans le cadre de programmes d’assurance vélo par exemple, sous réserve de l’utilisation d’une certaine marque de cadenas connectés. L'impact sur le S/P finit par être significatif.
- Inclure dans le contrat une révision annuelle de l’électroménager d’un foyer auprès d’un partenaire reconditionneur
Objectif : éviter qu’un petit dégât ne se transforme en sinistre. Générer des leads pour un service tiers pourrait le cas échéant venir apporter des compléments de revenus à votre programme.
- Générer des contenus pédagogiques pour les réseaux sociaux
Au-delà d’améliorer la prévention autour de votre programme, cette démarche permettra de générer de la fréquence de contact avec votre communauté et de faire grandir votre marque. On retrouve même de la prévention assurantielle sur Tik Tok, pourquoi pas vous ?
La Théorie des Crédibilités
Concept et application
La théorie des crédibilités est utilisée pour déterminer dans quelle mesure les données historiques d'un groupe spécifique (comme un groupe d'assurés ou un segment de marché) doivent être prises en compte par rapport aux données globales de l'industrie. Elle permet d'ajuster les primes en fonction des caractéristiques spécifiques d'un groupe, ce qui peut être crucial pour des segments de marché particuliers.
Sans trahir de secret professionnel, un actuaire aime explorer le risque. Le découper sous toutes ses coutures. La Théorie des Crédibilités est ce qui nous permet de considérer un échantillon de risques comme “hors norme”, et donc de lui réserver une analyse qui lui est propre.
Les assurances santé individuelles ou affinitaires sont un bon terrain de jeu par exemple. Mais construire une offre innovante pour votre client dépendra de notre capacité commune à prouver que celle-ci réponde à un paramétrage de risque différent que la moyenne nationale.
Quelques idées pour votre prochain RDV :
- Récupérer un maximum d’historiques de sinistralité
Nos amis anglo-saxons disent : “Show, don’t tell.” Autrement dit, ne dites pas que c’est un programme formidable, prouvez-le. Arrivez avec un maximum de données. Ce sont elles qui permettront à votre partenaire assureur de se lancer.
- Prouver la réduction de l'exposition au risque
Bien assurer le risque, cela commence par connaître le comportement des assurés. Vous proposez des contrats d’annulation de billets pour des évènements (concerts, spectacles…) ? Par exemple, si les évènements que vous souhaitez assurer présentent une forte demande et sont très populaires (Hellfest, un concert de Beyoncé ou la finale de Champion’s League), la population assurée aura beaucoup moins de chance d’annuler. Ce n’est pas qu’une question de volumétrie de billets mais surtout de datas et de connaissances de vos clients, en effet de petits événements locaux peuvent également présenter une moindre sinistralité du fait de la fidélité de la population. Le tout est de pouvoir le justifier.
- Diversifier les activités couvertes par votre contrat
Assurez-vous qu’il n’existe pas d’activités connexes et peu sinistrogènes à couvrir qui vous permettraient d’élargir l’assiette de prime sans dégrader la performance technique du programme. Un cas d’étude intéressant : en complément de vos contrats santé individuel, vous pouvez proposer des garanties accident de la vie qui présentent de meilleures marges que la santé et qui permettent une diversification du risque.
Souvenez-vous, nous avons tous intérêt à assurer de nouveaux programmes, que nous soyons courtiers, assureurs ou réassureurs. Sans business, aucune mutualisation n’est possible. Toutefois, notre enjeu collectif est d’arriver à nous lancer de manière sereine pour garantir des programmes rentables et donc pérennes.
La Théorie des Jeux
Concept et application
La théorie des jeux est utilisée pour modéliser les interactions stratégiques entre les assureurs et les assurés, notamment en ce qui concerne l'antisélection et l'aléa moral. Si ces deux concepts représentent le b.a.-ba de l’actuariat, ils restent souvent sous-évalués ou mal appréhendés. Ils continuent à mener les contrats à leur perte dès leur lancement - sur des risques santé notamment.
Notre mission à tous en tant que professionnels de l’assurance est de construire des programmes qui protègent le plus de monde possible, et le plus longtemps possible. Pour cela, il faut minimiser les comportements opportunistes.
- Anti-sélection: Les assurés ayant un risque plus élevé sont plus susceptibles de souscrire une assurance, ce qui peut entraîner une augmentation des sinistres. En utilisant la théorie des jeux, un actuaire peut concevoir des contrats qui attirent également les individus à faible risque, par exemple en offrant des primes réduites.
- Aléa moral: Les assurés peuvent modifier leur comportement après avoir souscrit une assurance, en prenant plus de risques. La théorie des jeux peut aider à concevoir des contrats avec des incitations qui encouragent un comportement prudent.
Quelques idées pour votre prochain RDV :
- Mettre en place une franchise
Le concept n’est pas révolutionnaire. Il semble même caduque dans un secteur où nous nous efforçons d’apporter toujours plus de lisibilité à nos offres. Ce qui fera toutefois la différence dans vos discussions, est le fait de rester ouvert à ces mécanismes. Nous sommes tous d’accord qu’un produit sans franchise lui fait gagner en clarté et évite les déceptions. Pourtant, les statistiques montrent que les franchises améliorent significativement les résultats techniques en mettant les assurés face à leurs responsabilités.
- Implémenter un système de bonus-malus
Ces systèmes prévoient une augmentation des primes après un sinistre ou leur diminution en l'absence de sinistres. Ils ont le mérite d’être incitatifs et d’être généralement mieux acceptés par les assurés.
- Proposer une logique de groupement à votre assureur
Si vous couvrez un autre programme similaire, proposez de placer ce risque auprès de votre nouveau partenaire potentiel pour équilibrer le risque au global.
- Diluer un risque d’anti-sélection en faisant des offres sur des populations moins sinistrées
Cela implique de connaître la sinistralité à la garantie près et pouvoir réagir rapidement. Et pour cela, il faut une bonne maîtrise de la donnée. Se donner les moyens de l’exploiter n’est pas un coût mais un investissement qui se répercute directement sur votre rentabilité. Comment ? Affiner les provisions, identifier les segments vacillants, … voici quelques exemples concrets d'applications chez Seyna.
Ces quelques idées n’ont pas pour objectif d’être exhaustives, mais bien d’apporter de nouveaux angles de discussion. En assurance, la magie s’opère lorsque tous les maillons de la chaîne travaillent ensemble vers le même résultat. Lorsque chacun se focalise sur ce qu’il fait de mieux. Le courtier sur sa connaissance des clients et la distribution, l’assureur sur la construction des produits et le réassureur sur sa maîtrise du risque et financière.
Connaître, comprendre et adopter le langage de l’autre, c’est se donner les moyens de gagner sur le long terme.